Press «Disc»
JazzMan Novembre 2000
Philippe Gaillot, la planète des sons
Parmi ces personnages qui font la musique mais qui restent dans l’ombre, Philippe Gaillot est un être à part. Impossible de lui coller une étiquette.
Ingénieur du son ?
Oui car il est passé maître en la matière avec son studio recall caché dans l’arrière-pays héraultais, à Pompignan. Un vieux mas de Provence restauré, havre de paix idéal pour créer.
Demandez à Jacky Terrasson, Césaria Evora, Sylvain Beuf ou Noir Désir ce qu’ils en pensent…
L’attitude adoptée par Philippe Gaillot et son assistant Renaud Van Welden est assez simple, mais d’une infaillible efficacité :
« je pense qu’enregistrer dans un studio ensoleillé par la lumière du jour, où l’acoustique a été soigneusement étudiée, peut provoquer un « plus » tant sur le plan de l’inspiration que sur celui du bien-être physique. Ce qui me semble constituer deux composantes essentielles de la réalisation de projets artistiques de bonne qualité. »
Musicien ?
Aussi ! Il termine actuellement un album avec la participation de Mike Stern.
Producteur, Arrangeur ?
C’est son rôle avec le musique du griot Soriba Kouyaté.
Pourquoi ?
Pour prolonger les multiples expériences qu’il engrange tout au long d’un parcours atypique. Il séjourne à New-York dans les années 70 où il rejoint son ami d’enfance Dominique Gaumont, alors guitariste de Miles Davis ; il prend des cours auprès de John Scofield, cotoîe Jaco Pastorius ; il enregistre des concerts d’Herbie Hancock, Carla Bley et Chick Corea avec son studio mobile au milieu des années 80.
De l’ombre à la lumière et inversement , Philippe Gaillot continue sa gymnastique avec le même enthousiasme.
Guillaume Bregeras
JAZZ HOT Juin 1988
«FIVE SPOTS»
Chaque mois, le Five Spots réunit trois journalistes autour de cinq disques parmi les plus significatifs de l’actualité du jazz. Un choix délibéré qui reflète l’éclectisme de la rédaction. Cette rubrique, unique en son genre permet un véritable débat qui, au bout du compte, laisse le lecteur libre de formuler sa propre opinion.
PIERRE DE CHOCQUEUSE
Philippe Gaillot compose des mélodies qui vous trottent dans la tête. Il sait aussi les habiller, choisir les sonorités qui les mettent en valeur. Cet architecte du son est un perfectionniste. Les synthétiseurs, les consoles de mixage n’ont plus de secret pour lui. Il joue de nombreux instruments, s’enregistre lui-même, sait aussi faire appel à d’excellents solistes quand il en a besoin (Michel Marre). Les parties rythmiques, impressionnantes, sont d’une grande précision. Normal, Philippe Gaillot programme ses boites à rythmes, s’attache à peaufiner les lignes de basse d’une rare intelligence. Il sait faire swinguer ses machines, et nous offre un album de fusion, moderne et passionnant.
DANIEL CHARDON
Les Synthés de Gaillot sont moins inhumains que ceux de Zawinul. Lui aussi produit des vocaux (avec ses cordes vocales d’origine ...) tout à fait intéressants. Et puis il y a la sensibilité écorchée de Couderc qui personnalise beaucoup, contrastant de manière quasiment surréaliste et tragique avec l’éther cool dans lequel se meut et s’émeut en un concerto déconcertant. Un bon point pour «F-Train» et «Blues for Brother Georg»e, sur lesquels, soit dit en passant, s’insère un violon sincère.
ROLAND EIFFEL
Ce Monsieur sort de l’ombre comme d’autres sortent du métro: anonyme et la tête remplie de sons. Tant mieux : il aura concocté ce document hors normes en toute impunité et sans se soucier du qu’en-dira-t-on. D’où une richesse, un dynamisme et une chaleur à faire pâlir certains fonctionnaires du synthétiseur. Impossible à décrire ou à cataloguer, ce patchwork coloré et impeccablement exécuté a de quoi impressionner, y compris les plus blasés.
Paroles & Musique Novembre 1988
Lady Stroyed (RDC Records 40 0022 / Mélodie)
Philippe Gaillot est une sorte d’entêté solitaire. Il joue de sa console 24 pistes, de la guitare, des synthés et crée en suivant son inspiration. Il a ainsi composé les thèmes de l’album, mis à part «Sex machine», une reprise de James Brown, et «Blues for Brother George» d’Archie Shepp. En indépendant complet, Philippe s’enregistre lui-même, programme, réalise les parties clavier, guitare, voix et choeurs. Les interventions acoustiques sont données, elles, par des musiciens invités, (violon, sax, trompette, percussions ...) Les batteries sont programmées, mais retravailler de façon à rendre le jeu plus humain, avec ses retards et ses mouvements. Somme toute, voilà un disque de fusion enthousiaste et chaleureux, réalisé avec beaucoup de finesse et peaufiné par une recherche exigeante de qualité sonore.
Christine Mulard
Sortir à Montpellier (L’hebdomadaire des spectacles)
Voici quelques années, ce guitariste-joueur de synthé dirigeait le groupe Concept avec lequel il enregistra deux disques et joue en première partie de Ray Charles au festival de Nîmes. Bien avant il fut aussi le meilleur ami du guitariste de Miles Davis, Dominique Gaumont, assista aux concerts et répétitions du maître. Il rencontra aussi Jaco Pastorius.
Aujourd’hui, partageant son temps entre l’enregistrement (il a un studio mobile) et la musique (il vient de sortir un album que toute la presse jazz a salué à sa juste valeur) Sans en rajouter, sa propre opinion résume son travail. «L’album est loin d’être triste, assez ouvert musicalement, il a un bon son et la musique a une instrumentation actuelle. Le mec qui l’écoutera, il aura envie de l’acheter». Dès le premier titre «Call me back», la musique est vive, alerte, souple et mobile. Au second le plaisir s’installe et dès le troisième des neufs titres, «Do it» avec l’inénarrable trompette de Michel Marre, l’on est conquis par sa musique dont l’essentiel des parties basse et batterie ont été réalisés au synthétiseur. Aux côtés d’un son très électrique, dont une très réussie version de «Sex machine» en est l’exemple, l’on trouve le violon de Frédéric Tari, les percussions de Robert Falzarano, les saxs et flûtes de Gérard Couderc. S’ajoutent pour un titre ou deux François Quillet et son lead synthétiseur, Joël Allouche et ses tablas, marc Cauquil ou Michel Marre pour leur trompette et la guitare basse de son vieux complice, Philippe Gareil.
Cette lady-là est un volcan en fusion jazzistique et tendre, qui à chaque détour de mesure, vous surprendra «lit-on en dédicace sur son disque, disponible en cassette et compact aussi.
JAZZ HOT Juillet / Août 1988
Philippe Gaillot «Parcours sans faute d’un musicien complet»
Il a écrit, joué, dirigé et enregistré lui même «Lady Stroyed» son dernier disque. Sous le soleil de Montpellier, Philippe Gaillot est un artiste aux multiples facettes aussi à l’aise àla guitare ou aux claviers qu’à la console de mixage. Portrait d’un musicen complet.
Les soirs de jazz, c’est à dire tous les dimanches, le Rockstore Odéon se met sans dessus-dessous : les musiciens sont dans l’entrée et le public est presque sur la scène. Avec le Sax’aphone, le Rockstore est l’une des quelques salles où l’on peut à Montpellier entendre régulièrement du jazz. Et c’est dans ce genre d’endroits que l’on retrouve, sur la scène ou accoudés près du bar, les habitués de la scène locale, les Denis Fournier, Michel Marre, Doudou Gouirand, Gérard Pansanel et autres Philippe Gareil. C’est là aussi que l’on pourra croiser Philippe Gaillot. Il y a quelques années, ce guitariste-joueur de synthé dirigeait le groupe «concept» avec qui il avait enregistré deux disques et, au cours du festival de Nîmes, joué en première partie de Ray Charles. Aujourd’hui, mi-instrumentiste, mi-ingénieur du son, Philippe Gaillot sort «Lady Stroyed», le premier album qu’il publie sous son nom. «Pour Lady Stroyed, explique Philippe Gaillot, j’ai essayé de mélanger de la façon la plus heureuse, musique électronique et musique acoustique. J’ai fait l’essentiel de parties de basse et de batterie au synthétiseur, et à partir de là, j’ai fait appel à des musiciens, essentiellement de la région de Montpellier, pour venir jouer acoustique».
Alliage réussi, où, à côté d’un son très électrique, on retrouve du violon, de la flûte indienne, de la cithare ou des tablas. La synthèse se retrouve aussi sur le plan du répertoire, puisqu’aussi bien Archie Shepp, avec «Blues for Brother George», que James Brown avec une reprise de «Sex Machine», se retrouvent avec Philippe Gaillot comme auteur de ce disque. Et pourtant, «Lady Stroyed» ne donne jamais l’impression d’un assemblage hétéroclite. C’est probablement dû à l’une des grandes qualités de son auteur, qui est d’attacher au son une importance primordiale.
« Le problème n’est pas d’écouter Philippe Gaillot, guitariste. Mais il s’agit plus de faire écouter une conception de la musique à laquelle je participe. Mon rôle d’ingénieur du son ou de producteur, pour moi, c’est encore un rôle de musicien. Les disques de Jaco (Pastorius) ne sont pas des disques de basse solo, et il aurait très bien pu faire un disque qui soit totalement de lui sans même jouer une seule note dedans. Je crois d’ailleurs qu’être musicien, ce n’est pas seulement jouer, mais c’est aussi un état d’esprit, une façon de penser. Coupez les deux mains à Keith Jarrett, ce n’est pas pour autant qu’il ne sera plus musicien». La console de mixage est donc devenue l’un des «instruments» privilégiés de Philippe Gaillot. Depuis quelques mois, le Montpellierain possède de plus la sienne propre, qu’il a aménager dans un vieux camion Mercedes, garé au beau milieu des vignes de l’Hérault. C’est sur cette console, lune des plus belles du Languedoc, tous studios confondus et l’une des rares en France à être mobile, qu’il a terminé le mixage de son disque. Philippe aime à pouvoir être présent d’un bout à l’autre de l’enregistrement. «Au départ, cela vient de la volonté de m’entendre, mais sans avoir à jouer. Et j’ai commencé pour ça, à rencontrer des gens qui travaillent sur le son. J’ai même eu mon premier studio, un huit pistes, il y a une dizaine d’années. De toutes façons, je fonctionne plus avec la bande magnétique qu’avec le papier. Je compose en enregistrant. Et lorsque je suis allé à New-York, j’ai vu qu’il y avait des gens comme Bob Moses qui travaillaient ainsi». N’allez pas croire pour autant que Philippe Gaillot est un technicien sans failles, capable grâce à un bon échantillonneur de faire tout et n’importe quoi. Derrière le manipulateur de bouton se trouve aussi le musicien. « L’un de mes projets est d’enregistrer «live», mais en prenant une responsabilité musicale : je mixe en direct et j’enregistre sur deux pistes. Si je rate mon mixage, c’est comme pour le solo du saxophoniste, on ne peut plus y retoucher après coup». C’est en banlieue parisienne que Philippe Gaillot est entré en musique. Au beau milieu des années 70, Philippe habitait le même immeuble que celui de Dominique Gaumont. Et c’est ensemble qu’ils ont commencé à gratter une guitare. «C’est Dominique qui m’a fait plonger : il avait une telle fois dans la musique, et dans ce qu’il faisait. Je me souviens qu’une fois, il m’a dit : un jour, je jouerai avec Miles comme j’aurai joué avec Jimi Hendrix s’il n’était pas mort. Trois semaines après son départ à New-York, il était sur la scène du Carnegie Hall avec Miles Davis !» Philippe est du voyage. Et c’est là qu’il découvre totalement l’esprit du jazz. Plus tard il revient à New-York, et il prend des cours avec John Scofield et Mike Stern, qui, de ses dires, lui apprenne beaucoup plus sur le côté humain du musicien que sur la simple virtuosité technique. Résultat, Philippe Gaillot n’est «pas un véloce, pas un fou du manche».
Dans son appartement en plein centre de Montpellier, Philippe Gaillot est aujourd’hui en train de mettre sur pieds ses derniers projets. Après «Lady Stroyed», il envisage maintenant de porter cette musique sur une scène. Le groupe est constitué, avec pour l’essentiel des musiciens du coin et il ne reste plus qu’à répéter et trouver des concerts. Ensuite on se replongera dans l’enregistrement. «J’ai à peine fini un disque que j’ai déjà envie d’en faire deux autres. L’un avec le groupe et un autre de la même manière que «Lady Stroyed» : composé à la console». De nouvelles occasions de prouver qu’il n’est pas de bon jazz que parisien.
Pierre-André Lacout
JAZZ HOT Février / Mars 1983
CONCEPT « Avis de passage» Autopsie dune auto production
Il existe peu de disques dans la production française qui reposent entièrement sur le principe du re-recording. Le premier album du groupe concept est à cet égard intéressant, puisqu’il montre que ce type d’enregistrement, qui suppose une qualité de réalisation parfaire, n’est pas nécessairement l’apanage des grandes maisons de disques, ni l’exclusivité de labels possédant des studios hautement sophistiqués comme ECM : «Avis de passage» a été entièrement réalisé à Ners, petit hameau de 400 habitants, grâce à la ténacité et l’ingéniosité de son maître d’oeuvre, le guitariste Philippe Gaillot.
Ce dernier, âgé de 27 ans, n’est évidemment pas un néophyte : dès l’âge de sept ans, il a commencé par des études de piano classique; très vite déçu par l’enseignement trop académique du conservatoire de Versailles, il éprouve une attirance plus profonde pour des musiques qui sont celles de sa génération. C’est d’abord la découverte de Jimi Hendrix, et une passion pour lui confortera une longue amitié avec son voisin, le guitariste Dominique Gaumont. Il joue beaucoup en privé avec ce dernier et assiste à tous ses concerts. En 1972, il part au Canada où il travaille avec Pierre Lescaut du groupe «Aquarelle». Puis il rejoint à New-York Dominique Gaumont, devenu l’un des guitaristes du groupe de Miles Davis. Il s’y trouve en contact avec le Black Artist Group de Joe Bowie et Bobo Shaw. «Ils avaient beaucoup plus de mal à vivre que depuis la création de Defunkt, raconte Philippe Gaillot et ils ne jouaient que dans de petits théâtres, devant un public essentiellement noir et Porto-Ricain, le public de la rue. Malgré le problème de la langue, j’étais très bien accepté et je pouvais jouer avec eux, surtout avec Bobo qui m’a même appris les rudiments de la batterie».
De retour en France, il s’installe à Ners, dans le Gard, où il restaure une vieille maison et entreprend l’aménagement d’un studio d’enregistrement. Il fait aussi la connaissance des musiciens locaux. « J’ai monté un club de jazz dans un coin perdu des Cévennes, Le «Big Fun», qui m’a permis de connaître beaucoup de musiciens comme Christian Lavigne (qui projette actuellement d’enregistrer avec Paul Bley), Jean-Marc padovani (avec qui joue aussi mes camarades de Concept, Michel bachevalier et Philippe Gareil), et Michel Barrot qui a monté un Big band à Nîmes. J’y ai programmé beaucoup de groupes locaux mais aussi Eddy Louiss, Sugar Blue etc ...»
Mais l’activité du guitariste s’est principalement concentré sur la création et l’utilisation du studio «La Calade». «Je n’avais aucune formation d’ingénieur du son, j’ai tout appris sur le tas. Le local, c’était le grenier, je l’ai aménagé moi-même, dalle flottante, double cloison. Le matériel, c’est un huit pistes. Au départ, je n’avais pas du tout l’intention de le commercialiser, mais j’ai du le faire pendant quelques temps pour amortir le matériel. On peut faire de très bonnes choses avec un huit pistes, surtout quand il est sur place et qu’on peut y travailler jour et nuit».
De fait, ce premier album de Concept en est la preuve : un son aussi pur et limpide que dans les meilleures productions actuelles, au service d’une musique délibérément conçue en fonction de ces possibilités techniques. «Pour le morceau «Avis de passage», par exemple, l’idée m’en est venue en pleine nuit. A 3 heures du matin je me suis enfermé dans le studio avec ma guitare et j’ai gardé cette première prise qui sert de trame au résultat final. Peut-être que le disque serait différent si je n’étais pas au four et au moulin, avec la guitare sur les genoux et une main sur la console. Nous n’avons pas tellement recherché des effets de mixage mais plutôt travaillé sur les différents niveaux d’enregistrement pour chaque instrument. Même si les compositions sont toutes de moi, nous nous sommes également investis tous les trois dans la préparation du disque, qui a pris deux ans. La formule du trio guitare / basse / batterie ne me satisfait pas pleinement car j’aime bien pouvoir m’effacer, me taire si le besoin s’en fait sentir. Je conçois la guitare comme un instrument qui doit s’intégrer à un ensemble.» En effet, si la guitare est présente dans tous les morceaux du disque, il ne s’agit pas pour autant d’un nième album de jeune guitariste du style «carte de visite» mais plutôt d’un album/ concept (d’où le nom du trio de base) qui témoigne d’un indéniable souci de composition et de cohérence (malgré une grande diversité d’instrumentation) et utilise intelligemment le talent des musiciens de cette région du Gard : Une occasion de découvrir le jeu de cymbales très subtil de Michel Bachevalier et la basse funky très plaisante de philippe Gareil. Le seul morceau en trio «Green March», me parait d’ailleurs dans son dépouillement, l’un des plus intéressant de ce disque varié à l’extrême qui devrait plaire à un public très large. En tout cas «Avis de passage», produit de qualité en dépit d’un faible investissement, devrait servir d’exemple à tous les jeunes musiciens français de talent que décourage l’absence de tout effort de production dans les grandes maisons de disques.
Pierre Cressant
Midi Libre jeudi 5 avril 2018
Philippe Gaillot, un jazz cool et ouvert sur le monde
Disque. Le musicien publie un nouvel album avec des invités prestigieux.
Dans son studio paradisiaque à Pompignan, sont passés Alain Bashung, Cesaria Evora et toutes les stars de la scène jazz française. Mais Philippe Gaillot, ingénieur du son réputé, est aussi un musicien qui a mis longtemps sa carrière entre parenthèses pour enregistrer la musique des autres. Son nouvel album Be Cool vient tout juste de sortir chez Ilona Records et il sera sur scène au début de mois de mai au théâtre de l’Athénée à Paris. Ce projet est une aventure au long cours, dont le style témoigne des curiosités plurielles d’un musicien ouvert sur le monde... Au fil des pistes, le jazz se métisse de nappes électro, de rythmes africains ou de voix tibétaines avec préciosité et élégance, à l’image de son parcours.
Avec les guitaristes de Miles Davis
Au départ, Philippe Gaillot est pianiste classique. « Mais mon voisin de palier jouait de la guitare ». Tous les étés, il le voit partir en vacances avec son instrument sous le bras. Tentant ! Ses cheveuxpoussent, il découvre Hendrix, Zappa et Led Zeppelin. Un autre voisin, Dominique Gaumont est devenu en 1974 le guitariste de Miles Davis.« Je suis allé le rejoindre, j’habitais chez lui, j’assistais aux répétitions ». C’estla grande période du jazz fusion, des frontières qui s’effacent et, dans les années 80, il s’offre « le privilège de prendre des cours avec Mike Stern », lui aussi guitariste de Miles Davis. C’est d’ailleurs avec lui que redémarrent les envies qui aboutissent aujourd’hui à ce disque, qui se doublera l’an prochain d’un second volume. Il y a vingt ans, Philippe Gaillot va voir Mike Stern pour un concert à Marseille. Dans la loge, l’Américain lui propose « si tu veux enregistrer, je suis off le 15 ». Le rendez-vous est pris immédiatement et deux pistes enregistrées. Mais que faire avec deux morceaux ? L’heure n’est plus aux 45 tours... En 2010, en visite chez lui, Stéphane Kochoyan, le patron du festival de jazz de Nîmes métropole, entend une boucle de Philippe Gaillot et lui propose une date. De retour sur scène, le plaisir est immédiat. « Ça faisait longtemps et ça s’est bien passé, malgré le peu de répétition ». Immédiatement, Philippe Gaillot entre en ébullition, il compose fiévreusement et les invités affluent. Il emprunte une phrase musicale à son ami, le pianiste Jacky Terrasson qui vient à Pompignan pour enregistrer Little Red Ribbon avec lui en live dans le studio. Découvrant le projet, le trompettiste Stéphane Belmondo demande également à participer, il accompagne le titre Be Cool qui donne son titre à l’album. Au fil des titres, figurent aussi l’harmoniciste Olivier Ker Ourio ou le bassiste Linley Marthe, ex du groupe mythique Weather Report. En tout, Philippe Gaillot enregistre ce qui aurait dû être un double album avec dix-huit morceaux. Finalement, cela donnera naissance à deux albums, tous deux imprégnés de jazz et de rencontres... « Ça reste jazz dans la construction, un thème exposé, de l’impro et un retour », mais les sonorités viennent aussi d’ailleurs. Car Philippe Gaillot est un passionné de son, qui sait picorer et faire son miel de tout ce qu’il entend. Le travail de production est étourdissant. « C’est parce que je dispose d’un studio que j’ai pu m’étendre autant, reconnaît le musicien. Parfois, je modifie des choses que je suis le seul à entendre, mais j’ai voulu aller au bout de mon truc... »
STÉPHANE CERRI
blog de Choc
23 avril 2018
Philippe GAILLOT : “Be Cool” (Ilona / L’autre distribution)
Je l’ai connu adolescent lorsque, entre les mains de Miles Davis, Chick Corea, Joe Zawinul, Herbie Hancock et quelques autres, le jazz électrique vivait ses plus beaux jours. Philippe Gaillot en écoutait beaucoup et se rêvait musicien, guitariste comme son ami Dominique Gaumont qui allait devenir trop brièvement celui de Miles Davis. Musicien, Philippe l’a toujours été. Sa passion pour la prise de son le conduisit dès les années 70 à installer un premier studio dans la vieille maison d’un village du sud de la France. Son premier enregistrement, un disque que nous coproduisîmes, histoire de surfer sur une vague punk rock alors prometteuse, fut l’unique album de Béton Vibré, un groupe aujourd’hui oublié. Des studios, Philippe en eut plusieurs. L’appartement qu’il occupait à Montpellier dans les années 80 vit aussi naître sa musique, mais c’est son Recall Studio, ouvert depuis 1994 et installé un peu à l’écart du village de Pompignan aux pieds des Cévennes, qui forgea sa réputation d’ingénieur du son. Enregistrer la musique des autres, ne lui fit pourtant jamais oublier la sienne. Depuis toujours elle trottait dans sa tête, déjà habillée des instruments qu’il lui destinait, prête à naître avant même d’avoir été crée.
Les albums qui la contiennent et que Philippe Gaillot publia sont pourtant peu nombreux. Quatre disques en quarante ans, chacun d’eux ayant une histoire, reflet de l’époque bien précise qui l’a vu naître, des goûts et des désirs d’un musicien exigeant. Les deux premiers sortirent sous le nom de Concept, groupe qui l’accompagna à ses débuts. Impressionné par sa musique, Frank Hagège édita les deux derniers sur son label RDC, “Lady Stroyed” et “Between You and Me”, un enregistrement de 1995, son dernier avant “Be Cool” qui paraît aujourd’hui.
Philippe Gaillot joue aussi de la guitare et des synthétiseurs dans “Kanakassi” et “Bamana”, deux albums du joueur de kora sénégalais Soriba Kouyaté que le label ACT publia en 1999 et 2001 et qu'il arrangea intégralement. Car, bien qu’accaparé par son métier d’ingénieur du son, Philippe a toujours fait de la musique, prenant le temps de soigner la sienne comme un couturier ses patrons. Ceux de ses morceaux, il les conçoit lui-même, en définit les grilles, les mesures. Il a d’ailleurs une idée précise des rythmes, des couleurs qu’il va poser sur les mélodies qu'il invente. Son studio accueillant de nombreux musiciens, il en profite pour les intégrer à son projet. Jacky Terrasson tient ainsi le piano dans Little Red Ribbon, une de ses compositions. Stéphane Belmondo est au bugle dans Be Cool, et Olivier Ker Ourio assure la partie d’harmonica de Back from Barca.
L’idée de ce nouveau disque est venue à Philippe Gaillot il y a plusieurs années lorsque, de passage à Marseille pour un concert, Mike Stern dont il avait été l’un des élèves, vint enregistrer chez lui deux morceaux. Moustille, la première plage de l’album, contient un flamboyant solo de guitare si caractéristique de son art. Son introduction n’en est pas moins somptueuse, avec ses arpèges de guitare et ses nappes de synthés, vagues sonores à l’écume onirique. Les grands moments ne manquent pas dans ce disque qui utilise toutes les ressources technologiques d’un studio mais dont la musique, aussi précise et complexe soit-elle, passe aussi très bien en concert. En témoigne Et puis un jour… Elles s’en vont, enregistré live au Nîmes Métropole Jazz Festival, morceau au sein duquel le saxophone soprano de Gérard Couderc se mêle aux harmonies colorées des claviers, la voix de Philippe, filtrée, transformée, démultipliée, devenant chorale à elle seule.
Présent dans tous les albums de Philippe, Gérard Couderc est tout aussi bon au ténor dans Tibetan Snow, une étourdissante et hypnotique tournerie dont son auteur a le secret. Le mélancolique Back from Barca ne cache pas ce qu’il doit à Weather Report. On pense à A Remark You Made que contient leur album “Heavy Weather”. La basse de Philippe Panel ronronne et chante comme celle de Jaco Pastorius, l’harmonica d’Olivier Ker Ourio – une idée magnifique ! – s’en voyant confier la mélodie. Irving Acao brille au ténor dans Just Before the Night, mais j’avoue avoir un faible pour Lé bamandi binolo et ses effets, son va et vient sonore en stéréo, les notes magiques de sa basse électrique (Linley Marthe), son magnifique et inattendu chorus de guitare acoustique (Olivier-Roman Garcia).
Il y a du monde, beaucoup de monde dans ce disque. Philippe Gaillot y a convié ses amis. Tous ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour servir sa musique. Philippe en a capté le son comme un entomologiste capture un papillon, délicatement, sans jamais en abîmer les ailes qui émettent une petite musique, celle des plus légères vibrations de l’air que le lépidoptère déplace sur son passage. Les mailles de son filet sont les entrelacs de câbles de sa console, des très nombreux instruments qu’il utilise. Ses oreilles grandes ouvertes saisissent les plus infimes nuances d’une musique qui est sienne et dont il donne à entendre les moindres frémissements.
Concert le 2 mai à Paris, au Jazz Café Montparnasse (21h00). Avec Philippe Gaillot (guitares, claviers et chant) et les musiciens d’Epicurean Colony, sextette réunissant Philippe Anicaux (trompette et bugle), Gérard Couderc (saxophones ténor et soprano, flûte), Rémi Ploton (piano, Fender Rhodes, synthés), Philippe Panel (basse électrique) et Julien Grégoire (batterie, percussions).
INDISPENSABLE
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